Le cycle des tapisseries de la vie du Christ

(1er quart XVIle s. Ateliers-Aubusson)

Une série de 5 tapisseries du 1er quart du XVIIème s., peut-être tissées à Aubusson, représente six scènes fondamentales de la vie du Christ auquel est associée Marie, sa mère.

La chaîne horizontale est en laine blanche, la trame verticale en laines de couleur et soie de plusieurs couleurs.

Cette série forme un ensemble propre à l’église ND de Nantilly :

1 - Visitation ;

2 - Nativité-Circoncision ;

3 - Crucifixion ;

4 - Ascension ;

5 - Pentecôte.

Trois d’entre elles ont connu quelques vicissitudes au cours du XXème siècle : Visitation, Nativité-Circoncision, Ascension.

La Nativité-Circoncision, seule tapisserie double, comporte un cartouche dédicataire, dont voici le relevé (orthographe respectée) :

« CESTE TAPPESSERIE A ESTE FAICTE AUX DESPANS DE LA FABRICE DE CEANS
ESTANS LORS PROCUREURS DE LADICTE FABRICE MAISTRE JEAN PELLE Sr DE GRILLEMONT
URBAIN LEFORT ESTIENNE PESCHEUR ET MICHEL HARDOUIN L’AN 1619 »

La Nativité et la Circoncision (ainsi que la Visitation), ont été gravement attaquées par des rongeurs et des insectes et sont maintenant restaurées (ateliers Bobin Tradition -Paris). Les bordures sont identiques sur tous les côtés, lorsqu’elles existent encore, et sont illustrées de feuillages, de fruits et habitées de petits animaux, lapins, écureuils, oiseaux...

Cette pièce présente les deux scènes mais a été privée de sa bordure supérieure. L’absence de perspective est moins sensible que dans la tapisserie de la Visitation. Dans la Circoncision et la Visitation, notamment dans l’arrière-plan, on peut remarquer des similitudes architecturales et de personnages, notamment des personnages féminins et bien sûr, dans la représentation de la Vierge. Elles confirment également par leur style, l’origine médiévale des cartons qui ont servi de modèle aux lissiers.

La Nativité

La Nativité

Dans un décor qui est bien celui d’une étable - la colonne séparant les deux scènes devant être rattachée à celle de la Circoncision - la Vierge, les mains jointes, se tient à côté de l’enfant qui apparaît nu. Joseph est derrière lui et le regarde. En bas, le petit personnage semble « souffler » avec sa trompette la lumière céleste qui inonde et nimbe l’enfant Jésus au point de le rendre quasiment invisible. Ceci sera symbolisé plus tard, par des petits anges toujours situés en haut, et souvent, de part et d’autre de la composition. Anges que l’on trouve ici en haut à gauche et se faisant face. A gauche, les bergers se pressent à la porte de l’étable pour admirer l’enfant. On retrouve aussi l’âne et le bœuf de la crèche traditionnelle, accompagnés ici, accompagnant sans doute les bergers, une chèvre et un chien. En bas de la scène, un panier rempli de fruits et bizarrement les morceaux d’une colonne brisée. En bas, dans le bandeau on peut lire, outre le nom des commanditaires et l’année de sa confection (voir ci-dessus) une description de la scène :

APORTES VISTETvENS ROSES VIOLETTES ET LYS LE RLS
DESCENDV DU Q EL EN TERRE EST GISANS PAR TERRE
FAVTEDEFOINT

La Circoncision

Dans cette scène le prêtre officie en présence de Marie, qui est derrière Jésus et à peine visible dans son nimbe, et de Joseph, tout à droite, détournant la tête. Jésus a également la tête nimbée.

Dans le Nouveau Testament seul saint Luc (II, 21) évoque la circoncision de Jésus au "huitième jour" : « Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l’ange avant sa conception. » Le même avait évoqué précédemment (I, 59) la circoncision du futur Jean le Baptiste : "Et c’est le huitième jour. Ils viennent pour circoncire le petit enfant. Ils l’appellent selon de nom de son père : Zacharie". Une lettre de Paul de Tarse fait aussi allusion à la « circoncision du Christ » dans un développement théologique (Cdœsiensll, 11).

En bas, dans le bandeau on peut lire :

SACRIFICATEUR DIVIN REGARDE CM TVTOVSCHE ET SVR CM TV RVES LE CAILLOV SEST LE SAUVEURS

La Visitation

La Visitation

>(2,55 m X 3,58 m) était abîmée comme si elle avait été brûlée à un coin une fois pliée (cf le Saint Suaire de Turin), mais les bordures étaient complètes ; étaient reconnaissables Marie et Elisabeth au centre, Zacharie et Joseph sur les côtés, avec d’autres personnages, ainsi que des éléments du décor ; était visible le même dallage que sur la tapisserie de la Pentecôte.

Et toujours un texte, cette fois-ci, lisible :

SI TOST TRES CHASTE VIERGE QUE TA VOIX EST ENTREE EN MES OREILLES
L’ENFANT EAGE DE SIX MOYS A TRESSAILLI EN MON VENTRE

L’Ascension

Seule l’Ascension (2,50 m X 3,50 m) trop endommagée, n’est pas restaurable.

En l’état actuel, il ne reste que quelques fragments de la scène et des personnages ainsi qu’un texte encore à compléter et traduire : DUSCV IESV A LAVEVE D DOUS S ESMEVE


C’est la redécouverte fortuite, le 27 novembre1987, de ces 3 tapisseries (Visitation, Nativité-Circoncision, Ascension) par l’abbé André Léridon, qui a permis de donner la date et l’origine de cette série :

La Crucifixion

Il résume l’histoire de cette redécouverte : « au début des années 20, paraît un article dans une revue d’art, au sujet des tapisseries de Nantilly, exposées dans l’église, et signalant qu’elles n’étaient pas protégées. Peu de temps après, l’une d’entre elles était volée ; elle fut heureusement vite retrouvée.

Suite à ce fait divers, en 1927, toute la collection des tapisseries est expédiée aux Gobelins pour restauration.

Retour et remise en place en 1933, sauf trois, déclarées « non restaurables », sûrement selon les critères de restauration de l’époque. Elles sont ans doute déposées d’abord au château. Comme personne ne les connaissait, pas même les personnes âgées, nul ne s’est inquiété ensuite de ne pas les revoir.

Lors de la dernière guerre, avec la dispersion des collections pour les protéger, elles seraient revenues à Nantilly, mais sans aucun certificat de dépôt.

Changement de personnes, ignorance ; le temps qui passe…

Dans les années 60, l’abbé Jean Suteau, curé de Nantilly, constate des différences entre les listes des récolements et ce qu’il a réellement sous les yeux à l’église. Il fait entreprendre des recherches au Musée, à Angers, aux Gobelins. Conclusion : les trois sont bien reparties des Gobelins, mais ne sont arrivées nulle part.

Ceci, jusqu’au vendredi 27 novembre 1987 à midi, où je faisais un dernier tour dans cet immeuble de la rue de l’Ermitage, ancien prieuré du XVe qui devait être vendu. Le lendemain, c’était la signature de l’avenant.

Dans le grenier, sous des débris de reposoirs, fleurs de papier doré, oriflammes en calicot, gravats, bois pourri, poussière, je vois du gros tissu coloré : « Tiens, un tapis ! ». Je tire de dessous le tas de saletés : « Tiens, des figures ! Étonnant pour un tapis ! ». Et, d’abord prises pour des loques, voici des reliques, voici une, deux, trois tapisseries, les belles inconnues. J’ai résolu une équation à trois inconnues !

Vous imaginez l’émotion de cette découverte :

« Si c’est ce que tu penses, tu as eu la main heureuse ! »

  • Les uns avaient cherché loin ce qui était tout près.
  • J’ai trouvé sans chercher.
  • Et personne ne les connaissait…

Vu leur délabrement, elles ne pouvaient être exposées dans l’église, alors que toutes les autres l’étaient, même celles qui sont maintenant en dépôt au château, avec le Bal des Ardents. Donc, vraiment inconnues de tous, et aucune photo d’archive.

Par écrit, j’avertis la Mairie et le Musée de Saumur, et par téléphone, le conservateur départemental, l’abbé Antoine Ruais.

Et puis… un ami l’a dit à la bouchère, qui l’a dit au facteur, qui l’a dit à la crémière, qui l’a dit… et dans un bistrot de Saumur, un journaliste l’a su ; et c’est comme cela que tout le pays l’a appris par les journaux, et par la télé, FR3, venue de Nantes. »